À partir de l’exemple d’Al’fred Bem, j’observe la façon dont la notion de titanisme a été développée par les intellectuels russes en exil. Le terme peut s’inscrire dans une historiographie littéraire de l’exil russe, travaillé par les tensions entre la nostalgie d’une grandeur et les mouvements d’intégration. Spécialiste de Dostoevskij, Al’fred Bem a utilisé cette notion tant pour commenter l’œuvre de l’écrivain russe que pour mettre en lumière sa réception en Europe centrale. Les compréhensions ou les utilisations du titanisme sont variées. C’est à la variété des définitions que je m’intéresse : aux rencontres que le titanisme a pu occasionner, ainsi qu’aux divisions et incompréhensions qu’il a creusées, à la façon dont il a joué sur un milieu, l’a structuré. Parce qu’il implique une vision du monde, un point de vue, le titanisme qui était un objet d’étude et de réflexion est aussi entré dans la définition de soi. J’illustrerai mon propos à travers les alliances et les dissensions au sein de l’émigration, mais aussi en m’arrêtant sur les échanges entre Al’fred Bem et Václav Černý qui ont abouti à une “controverse muette”, éloignant les deux hommes. Cette rencontre manquée montre comment l’idée du titanisme a pu représenter un viatique pour les exilés russes s’intégrant sur la scène scientifique, tout en dessinant les limites de cette insertion.